L'Histoire des Snipers - Part I

Extrait du mémoire du Dr.Thorsten Remoray

Les tireurs d’élites ne sont pas une création moderne. De tout temps, depuis la première sagaie et la première fronde, l’homme a cherché à exploiter au mieux les dipositions des plus doués, qu’il s’agisse de chasse ou de guerre.

Le “Sniper”, c’est littéralement le tireur de bécassines. Cet oiseau, qui vous décolle dans les bottes en émettant un chuintement qui n’est pas sans rappeler le bruit d’un baiser, est extrèmement difficile à tirer, à tel point que les vieux chasseurs disaient qu’il faut tirer dans le zag quand l’oiseau est dans le zig. Si seulement ça pouvait être aussi simple! Cette réflexion est là uniquement pour illustrer la qualité du tireur d’élite, qui n’opère jamais complètement seul et doit remplir des missions variées et généralement essentielles. Il ne s’agit pas d’une nouveauté. Les Grecs, les Romains, les Parthes, les Assyriens employaient des frondeurs et des archers, mercenaires ou “citoyens”, pour augmenter l’allonge de leurs troupes et exploiter aussi bien l’effet de surprise que la précision des tirs. Dans toutes les armées antiques ou moyennageuses, archers et arbalétriers se répartissaient naturellement entre fins flécheurs et acteurs de l’effet de masse, alliant autour d’un même type d’arme et de munitions, les qualités de précision du tireur d’élite moderne à celles de la mitrailleuse, arme de saturation. Dès l’apparition de la poudre, puis surtout une fois acquise la maîtrise de la fabrication des canons rayés, beaucoup de tireurs plus doués ou mieux entraînés que les autres ont naturellement trouvé leur place sur le champ de bataille. Dès la guerre d’indépendance américaine, les troupes anglaises payérent un lourd tribut aux “Pennsylvania Long Rifles” des insurgés américains. Il faut dire que, devant un Brown bess capable de rater un cheval à 100 mètres, poser avec précision une petite balle de calibre 45 à 400 mètres dans la poitrine d’un officier anglais relevait de l’exploit.


LES PREMIERES ARMES DE PRECISION : LES ARMES A VENT

Sous le Premier Empire, on rencontrait parfois des “chasseurs” tyroliens ou bavarois équipés de ce qui, en fait, était le retour à la discrétion de l’arc ou de l’arbalète: une arme “à signature réduite” employant l’air comprimé. Non seulement le nuage de fumée de la poudre noire avait disparu, mais encore le bruit était considérablement réduit. Pour des opérations de harcélement, pour des missions type commando, rien à dire: c’était efficace. Cela l’était même tant que l’Empereur des Français décida que tout soldat ou partisan ennemi surpris en possesion d’une arme “à vent” serait passé par les armes sans autre forme de procés. Nous avons tous en mémoire les nombreux usages que firent les deux côtés des tireurs d’élites au cours de la guerre de sécession américaine. Notre culture militaire à nous, Européens de culture latine, faisait référence à l’ordre de bataille et à la discipline de feu, négligeant et même bannissant l’initiative individuelle au profit des manoeuvres savantes de corps de troupe articulés les uns aux autres. Pas les américains, ni les espagnols, qui déployèrent contre Napoléon des trésors d’initiative au cours de la guerre d’espagne, où l’on vit une armée “à l’ancienne” céder le terrain à des guérilleros pour la premiere fois des temps modernes. La guerre de sécession vit arriver en bloc les armes rayées en dotation générale, l’introduction des cartouches métalliques et du chargement par la culasse, puis de la répétition jusqu’au niveau du groupe de combat. Ce fut sans aucun doute, sur le plan de la technologie, une guerre révolutionnaire.


UN CHANGEMENT DANS LES RAPPORTS DE FORCE

On n’allait pas, bien entendu, s’arrêter en aussi bon chemin. Toutes les guerres qui suivirent la guerre de sécession durent se conduire en tenant compte des techniques nouvelles, de la capacité ainsi donnée à quelques-uns de causer les plus extrèmes désagréments au plus grand nombre. L’héroisme n’est pas en cause: quelques centaines d’Espagnols bien entraînés, bien retranchés sur la colline de San Juan, avec des Mauser 93 à répétition, firent des coupes sombres dans les rangs des troupes de Théodore Roosevelt en 1898, lorsque les Etats-Unis décidèrent de “libérer” Cuba. Ils ne furent réduits que par une charge furieuse des troupes américaines, qui laissérent un millier de morts sur le terrain devant cent quarante bons fusils.

Bien plus que les armes nouvelles, c’est dans l’apparition et la généralisation des poudres sans fumée qu’il faut chercher le développement des techniques de tir à longue distance. Même si quelques individus avaient pu obtenir des résultats étonnants avec des armes à poudre noire, souvent des Sharps à rechargement par culasse, il fallait disposer des capacités de vitesse initiale élevée et de pression relativement faible apportées par l’invention de Vieille pour tirer parti des progrés de l’usinage et de la métallurgie.

Bien vite, la trajectoire des balles se mit à gouverner l’ordre de bataille. Plus question de masser des milliers d’hommes: quelques fusils à répétition en faisaient des milliers de cadavres. Les Russes l’apprirent à leurs dépens face aux Turcs et aux carabines Winchester à levier de sous-garde. Le fait d’armes de San Juan était une bonne leçon de choses et la meilleure publicité pour les industriels d’Obendorf-am-Neckar. Avec les mêmes fusils Mauser que les Hispano-Cubains, les Boers démontrèrent aux Anglais que l’entraînement au tir donnait des résultats tactiques imparables et répétitifs. On leur doit, entre autres, l’abandon des tenues colorées au profit des tenues Kakis, des “feldgrau”. Pensez: une tunique écarlate dans la verte, à moins d’être daltonnien, cela fait une cible facile. les pantalons garance aussi, même avec un bigleux derrière une mitrailleuse. Pendant la Grande Guerre, les tireurs d’élites des deux camps s’en prirent systématiquement à tout ce qui dépassait: guétteurs et vigies, aérostiers, artilleurs, vaguemestres et corvées de soupe, mitrailleurs et flâneurs étaient bons à tirer d’une tranchée à l’autre. On inventa des cuirasses, des blindages additionnels pour les casques, on disposa des masques en bon acier, avec une trape de tir, histoire d’obliger le gars en face à se concentrer sur son tir. On mit au point des affûts pourvus de viseurs périscopiques et de systèmes de tringles pour pouvoir allumer le mec d’en face plusieurs fois de suite depuis le relatif confort de la tranchée. Il y a à Londres, dans les collections de l’Impérial War Museum, un de ces fusils sur affût. Le “Sniper” allemand a logé sa balle dans le canon du Lee-Enfield et l’a fait éclater depuis la tranchée d’en face... Chez nous aussi, des Lebels équipés de lunettes de visée, des RSC-17 ou 18 étaient délivrés aux fins tireurs pour obtenir les mêmes résultats.


L'AVANCEE DES TECHNIQUES

On connaissait bien sûr les visées optiques depuis quelques décennies. Déjà, pendant la guerre de Sécession, des lunettes de tir avaient été employées. On avait aussi compris qu’un simple tube, même sans lentilles ni réticules complexes, pouvait favoriser la précision du tir à longue distance. Les progrés de l’industrialisation, de l’ingeniérie, de la construction en série aidant, les visées optiques de bonne qualité vendues à des prix abordables commencérent à apparaître dés les premières années du vingtième siècle. Les tireurs d’élites des tranchées en étaient parfois équipés.

L’entre-deux-guerre, période d’attente et de préparation de la revanche des Teutons, vit les progrés se multiplier en matière industrielle. On fit la seconde guerre mondiale, à peu de choses prés et bien entendu du point de vue du fantassin, avec les armes et surtout les munitions de la première. Mais on la fit plus vite, plus loin de chez soi, sous un parapluie aérien inconnu jusqu’alors. On la fit dans des endroits impossibles. Les plaines Russes, les jungles du pacifique sud, les bocages de normandie et les sables de Lybie n’ont qu’une chose en commun: on y tua de loin , avec précision, des gens qui essayaient de vous tuer de loin, avec précision.


UNE HISTOIRE DE TERRAIN

Tradition oblige, sans doute. Mais depuis longtemp, on avait compris, et surtout depuis la guerre de Corée, qu’un tireur d’élite bien caché, bien armé, bien entraîné valait plusieurs fantassins de base. La guerre, quand on doit la faire, ne peut absolument pas se gagner avec les méthodes des hauts fonctionnaires qui inspirent les politiciens, quand ce ne sont pas les mêmes... On ne peut y agir comme on le fait au jour le jour dans un pays en paix: pas question de ces recettes miraculeuses et dilatoires qui ménagent naturellement la chèvre, le chou, la corde et le piquet, tout en tenant compte de la longueur de l’herbe. Par essence, la guerre est chose brutale, mortelle, terrible. Elle se gagne avec des sous-officiers et des officiers subalternes qui agissent en professionnels. Derriére chaque officier U.S.Marines, il y a un ancien, un sergent qui connaît toutes les ficelles.

Au Viêt-Nam, on était dans une situation où tous les coups étaient permis à l’adversaire, les politiciens américains et vietnamiens du sud ayant délibérément choisi de perdre cette guerre dés le début. Devant un ennemi dispersé, noyé comme un poisson dans l'eau dans la population, il fallait créer de l’inconfort, de l’insécurité. Inutile donc, même si on le fit bien trop souvent, de prendre à grands frais, en hommes d’abord, en matériel ensuite, et dans des proportions jusqu’alors inconnues, une quelconque colline numérotée de la zone démilitarisée pour l’abandonner ensuite dés le lendemain. Derrière et devant les B-52 qui retournaient le paysage le long de la piste Ho Chi Minh, des binômes de tireurs d’élite chassaient tout ce qui bougeait. Hommes, camions, éléphants, bicyclettes: une balle de 7,62 mm produisait assez de désordre pour faire économiser quelques vies, gagner quelques jours. Les carabine Winchester 70 chambrées pour la .30-06 en réserve depuis la corée reprirent du service, avec leur longues et fragiles lunettes Unertl à réglages externes. Les artistes des bureaux s”entêtèrent à développer à grand frais le XM-21, fusil de tireur d’élite dérivé du M-14 semi-automatique en dotation générale dans la biffe et la marsouille mais l’Air Force commençait à déployer un vilain petit fusil noir dont la conception ne sortait pas des bureax d’études d’un grand de l’armement et qui tirait une cartouche jugée ridicule par les “cous de cuir”. Une 22, vous pensez ...


DANS LES LABORATOIRES

Pendant ce temps, les Européens, eux, bien à l’abri derrière le mur de Berlin, continuaient à chercher des solutions. Et ils en trouvaient. Les Russes et leurs satellites avaient déployé le fameux SVD depuis fort longtemps. Fondamentalement, ergonomiquement et mécaniquement, cet engin est fort proche du bon viel AK-47 (reconnaissable à son TACATAC typique), à quelques détails près du côté emprunt des gaz. Il est rustique, d’une étonnante précision, avec sa cartouche mise au point à la fin du 19éme siècle et sa lunette PSO-1 de grossissement fois quatre. Sa crosse évidée l’allège agréablement: il ne pése que 4,5 Kg. Il est toujours en service...
Chez nous, c’était le FR-F1, une idée de génie ou presque. D’abord, nos pouvoirs pubics sont avares. Nos arsenaux regorgent de fusils obsolètes, qu’on nous distribuera et à nos enfants aussi bien. Tout cela est un 7,5 mm Mod. 29c, certes, et après?

On prit donc une mécanique de MAS 36, et on y colla quelques bricoles pour faire à la fois moderne et efficace. La magasin fixe a disparu au profit d’un boîtier chargeur emprunté au MAS 39, qui lui aussi peuple les stocks de moblisation. Un bipied assez intelligent pour avoir été transféré quelques années plus tard sur nôtre fusil d’assault national. Une poignée pistolet rend le tout maniable et plus adapté à la conformation du tireur. Le canon est très léger, seulement 5,52 kg et surtout un astucieux frein de bouche-compensateur de vibration qui permet de ne pas devoir faire trop bien en atelier, et de régler proprement sur le terrain. Aprés le FR-F1, c’est le FR-F2, avec un canon pourvu d’un dissipateur thermique synthetique et d’un bipied sous lequel l’arme est suspendue. La diffusion des technologies du tir de précision a atteint très vite un niveau très fort, qui place la France dans le peloton de tête des armées européennes.


LA LEÇON DES FAITS

De tout cela une leçon ressort. D’abord, le tireur d’élite demeure un instrument précieux dans beaucoup de cas, depuis le maintient de l’ordre jusqu’aux opérations offensives. Sa valeur se mesure à l’aune de ses capacités. A la fin du ciècle dernier, un seul binôme de tireurs d’élites muni d’une carabine en 12,7x99 mm et d’une arme en 7,62 mm peut être chargé à la fois de l’élimination des éléments ennemis infiltrés et des matériels sensibles, dans un rayon de 1000 à 2000 mètres. Peu d’hélicoptères, de véhicules légèrement protégés, de matériels relativement fragiles lui survivront.

Le tir sélectif qu’autorise une bonne connaissance de l’organisation de combat opposée, avec une formation pointue aux méthodes et aux modes opératoires adverses permet de faire porter les efforts d’abord sur l’encadrement de l’ennemi, puis sur ses liaisons et sa logistique, même et surtout au niveau élémentaire.
La connaissance du terrain, la capacité de s’y fondre, celle de recueillir et de transmettre les informations vitales qui peuvent changer la face du combat font partie du rôle des tireurs d’élites. Pas étonnant que toutes les grandes armées conservent dans leurs rangs et développent des capacités de ce type. Peu coûteux par rapport à tous les moyens lourds ou technologiquement complexes qui plaisaient tant aux bureaux et aux politiques et qui accroissent la vulnérabilité d’une troupe projetée quelque part dans le monde ou simplement disposée en rempart d’un territoire menacé, les tireurs d”élite ont une place priviliégiée. Médiatiquement, ils renforcent considérablement l’image d’une armée: ne sont-ils pas à la fois spectaculairement menaçants lorsqu’on veut les montrer, et spectaculairement efficaces quand ils opèrent loin des journalistes? Allons, ils ont de l’avenir, ces experts de la gestion du vent et de l’infiltration discréte.


L'AUBE DU 21eme SIECLE

Il n’est pas inutile de se remémorer quelques nouvelles données tactiques et technologiques périphériques avant d’étudier les nouvelles armes.
Vision nocturne: les systèmes passifs ont fait des progrés fantastiques tant en poids et en encombrement qu’en fiabilité et en définition. Le même progrès a d’ailleurs pu être constaté en matière de détection thermique, sismique, sonore ou même olfactive. Ce mouvement est accompagné d’une production en masse qui a fortement abaissé les prix de revient.
Topographie: le matériel de positionnement par satellite (GPS) est maintenant universellement répandu. Couplé à la possibilité quasi illimitée qu’offre la micro-informatique d’emporter des cartes, il supprime le nécessaire recours au télémètre laser, lequel peut être détecté et indiquer son utilisateur ou aux approximations obtenues avec les réticules thermiques.
Contre-Mesures: de nouveaux senseurs capables de déterminer instantanément la trajectoire et l’origine d’un projectile isolé sont en phase finale d’étude. Il s’agira de les coupler à un système d’armes anti-sniper.

Optronique, aide à la visée: L’intégration en un seul module de la lunette de visée, du système d’amplification de lumière, d’un sytème GPS avec cartographie intégrée, d’un calculateur balistique, d’un télémètre-désignateur laser, voire d’un circuit vidéo, transmettant au commandement en temps réel est à différents stades de développement. Par ailleurs, les recherches se poursuivent sur un systéme de contrôle de tir donnant une probabilité d’atteindre la cible au premier coup de 100% , dans tous les cas. Le tireur aura seulement à identifier la cible et à vérrouiller sa cible, le coup ne partant que lorsque la cible coïncide avec la trajectoire pré-calculée du projectile. Ces projets arrivant à terme, ils supprimeront le problème de la sélection et de l’entraînement des snipers, et donc leur généralisation. Leur puissance de feu étant multipliable à l’infini, il ne fait nul doute qu’ils recevront comme mission supplémentaire le guidage terminal des projectiles intelligents allant de l’obus au missile en passant par la balle de sniper à une poignée de francs.

Précision: à ce moment là, une précision de l’ordre de une à une minute et demie d’angle jusqu’à 1500 mètres est la norme. Cette limite pourra être poussée à 2000 mètres si les recherches sur les projectiles monoblocs donnent les résultats escomptés.
Poids/Prix : le poids des fusils de sniper allaient d'environ 6.5Kg à environ 20 Kg, le prix lui tournant autour de 7000 $ pour un Barret M-82 qui est une arme de bonne qualité.
Signature: le bruit est caractéristique et attirera une réponse appropriée. Comme les systèmes modérateurs de son sont trés encombrants et peu efficaces et qu’ils peuvent modifier le point d’impact, il faudra utiliser des leurres sonores.
Instabilité du projectile: le projectile de 12.7 est instable sur la première partie de son trajet et se stabilise sur sa trajectoire au bout de 400 mètres pour des armes de portée de environ 1500 mètres. Ceci explique en partie pourquoi les lunettes spécifiques à ces armes étaient pré-étalonées pour les tirs de 500 à 2000 mètres. Il n’etait donc pas envisageable de faire du tir chirurgical en dessous de cette distance, mais juste de la destruction.


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